L’IA dans la pub : #Good / #NoGood ?
L’état de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la pub d’aujourd’hui me fait penser aux débuts du web. Pour les plus anciens, dans la 1ère décennie du web, IBM avait sorti une pub grand public qui montrait, dans un open space, des cadres moyens en train de s’extasier devant un site internet : « et le logo tourne ! ». Manière de moquer un peu la « hype » de surface concernant internet, et de dire « bon maintenant, concentrons-nous sur les vraies avancées technologiques de cette innovation ».
Un petit clin d’œil pour imager un peu ce que l’on voit de la partie émérgée de l’intelligence artificielle générative. Des gens qui s’amusent à créer tout et n’importe quoi, sans tri, sans goût. Un prompt, une bouse. Heu pardon, une création visuelle. Toutes ces images générées au kilomètre, qui viennent s’entasser sur le web, comme des sacs de fast food dans une poubelle de parking d’autoroute un soir de retours de vacances. Sauf que personne ne passera demain vider la poubelle.
Allez, on oublie ça, tout le monde a le droit de s’amuser. On va ici ce concentrer sur cette question : est ce que l’intelligence artificielle apporte quelque chose à la pub, et si oui, quoi ?
Donc, allons y : l’AI, good ou no good pour la pub ? on va la jouer à la @abregefrere et vous livrer tout de suite le parti-pris de cet article (à ce stade j’ignore s’il vous faudra 3 minutes de lecture ou si vous allez avoir besoin d’un RedBull pour boucler la lecture) : en tant qu’agence, ou en tant que créatif dans la pub, bloquer sur l’AI c’est aussi pertinent que les adeptes de la photocompo qui ont fait barrage à l’arrivée des premiers ordinateurs dans notre métier au siècle dernier, pour défendre bec et ongle un art majeur : découper et coller des typos à la main sur des films transparents. C’est sans espoir, et contre productif.
Et oui, il ne faut pas être visionnaire pour savoir que l’AI dans notre métier, ce n’est pas juste qu’on « y va tout droit » : non, on y est déjà. Et ce n’est qu’un début. Alors on va juste se poser la question de « comment faire en sorte que ce soit au profit de notre métier » .
A la décharge des opposants, on voit quand même avec l'IA générative des TENTATIVES ridicules. Heu, bizarres tout au moins.
C’est une grande tentation pour chacun d’essayer tous ces supers gadgets que l’intelligence artificielle nous offre.
Comme certains clients qui ont découvert l’iPhone et se sont dit que ça valait un photographe ;
Comme ton cousin qui a craké photoshop et qui a tout quitté pour vendre des logos ;
Comme l’autre cousin qui trouve Canvas trop cool et s’est aussi mis à vendre des logos encore moins chers ;
Comme mon voisin qui est tombé sur une appli DJ trop bien et s’est mis à sortir des « sons trop bons » ;
Ou comme moi qui ai acheté une guitare, pensant me la jouer Joy Division…
Bref, avec l’AI tout le monde pense être devenu créatif. C’est vrai que c’est ludique, accessible, et très tentant. Mais ça va quand même mieux avec les bases du métier.
Car en vrai, là où l’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE dans la pub pose question, c’est principalement un problème… humain.
On ne va pas se le cacher, il y a une partie des réalisations publicitaires via AI qui posent question : c’est celui d’un usage sans discernement, sans créativité, sans idée. « l’AI pour l’AI ». Et pour reprendre la question de Philippe Michel : « c’est quoi l’idée ? » : si la réponse est « pour être les premiers », ou encore « pour réduire le budget », il y a un souci.
Donc on a le droit de se poser des questions, comme pour ces campagnes : le choix de l’intelligence artificielle était-il la meilleure solution ?
Est-ce qu’il est cohérent de faire la promotion d’une station de montagne et de la reconnexion authentique à la nature en utilisant des visuels générés pas AI ? (visuel)
Est-ce qu’on peut faire la promotion de la Bretagne, territoire cher à mon coeur de touriste nature, en mettant en scène un influenceur 100% artificiel ?
Est-ce qu’un festival comme Solidays, engagé sur l’humain et mettant en scène de vrais artistes, peut se passer d’humain pour sa communication ?
Quand la pub n’est pas OK, bien souvent le problème de fond, ce n’est pas l’AI. C’est plus celui de ressorts assez éloignés de l’objectif d’efficacité publicitaire. On a clairement des motivations telles l’Ego (vouloir être les premiers, faire parler de soi), la fainéantise (pourquoi s’encombrer d’un créatif quand on peut tout faire soi même) et évidement la cupidité (marge brute ou objectif de prise de parts de marché).
On est en pleine conquête de l’ouest, nombreux sont ceux qui se prennent pour des pionniers en quête d’une mine d’or, et oublient que la pub, c’est d’abord une quête de sens.
QUAND CERTAINS PIONNIERS PARTICIPENT À LA RUÉE VERS L'OR, D'AUTRES SONT EN QUÊTE DE SENS. ET C'EST FRANCHEMENT PAS MAL.
Allez, on arrête avec le négatif, et on passe à ce qu’on aime vraiment bien avec l’AI : elle ouvre des portes à la créativité publicitaire. Elle complète le créatif, le dote en quelques sortes d’un exosquelette qui va lui donner plus de possibilités, à temps de travail égal.
Quelques exemples ci-dessous, et un point commun derrière chacune : l’idée ! Un tandem CR/DA, de la culture, une prise de risque, et l’AI pour réaliser.
Il y a un vrai et bon concept au départ de cette campagne pour Véolia conçue par l’agence Hungry and Foolish. Matérialiser la baisse du niveau des eaux en faisant « supprimer l’eau de tableaux célèbres » par l’AI générative. Une belle manière d’intégrer la logique d’une créa augmentée par l’intelligence artificielle.
Cette petite merveille, fort justement appelée « Masterpiece », crée par Electric Studio pour CocaCola, avec l’aide notamment de Stable Diffusion.
Amusante utilisation de l’AI pour dénoncer les idées reçues. Une campagne « imaginée » par Havas Paris pour Jamais Sans Elles / Women’s Day.
Ce film tout simple, réalisé par Anna Apter en utilisant l’AI à 100%, primé dans le cadre du Nikon Film Festival, et dérangeant à souhait.
Cette campagne imaginée par Brainsonic pour Bescherelle a su exploiter parfaitement – et dès 2022 – la trend du prompt « /imagine ».
Autre question concernant l’Intelligence Artificielle dans la pub : va-t-elle faire disparaitre le métier ?
La question est forcément sur la table, évidemment. Mais la réponse ne s’y trouve pas encore aujourd’hui, si on est honnêtes avec nous-mêmes.
Et donc, si vous voulez un avis plus tranché, passez votre chemin car je me contenterai de reprendre une expression que jamais ChatGPT ne ressortira dans un de ses textes au kilomètre : « ça dépend, ça dépasse ».
Ça dépend de quoi ? De la taille des équipes pour l’agence d’abord. Du niveau stratégique où on intervient ensuite. Et enfin du niveau des créatifs sur la campagne.
D’abord, on va tout de suite évacuer l’idée selon laquelle « on va tous disparaitre ». Pas parce que la méthode Coué fait du bien au moral des troupes, mais plus sérieusement parce que l’Intelligence Artificielle en mode pilote automatique, ça donne quand même des résultats étranges.
Je vous passe le test ridicule de confier à ChatGPT, Mistral ou Claude l’écriture d’une stratégie de communication en plusieurs points, ça pourrait nous rappeler les heures un peu honteuses de notre 1ère power point créatif en début de 1ère année d’école de com’. Avouez que vous n’aimeriez pas le relire, celui-là ? Eh bien celui de ChatGPT non plus. Scolaire, au mieux.
Pour les images ou vidéos générative, c’est pareil. Sans conception-rédaction, sans direction artistique, sans « œil » d’artiste, ça ne donne pas grand-chose d’autre qu’un beau papier peint. C’est déjà pas mal, vous me direz. Mais pour donner à une marque une image différenciante, c’est une autre histoire.
On l’a vu plus haut, derrière les plus belles réalisations de spots via AI, il y a des équipes de créatifs de folie qui mettent les mains à la pâte. Il n’y a pas de prompt magique, il y a juste un boulot de fou qui s’appuie en partie sur l’intelligence artificielle. Deux exemples :
Un coup d’oeil au Making-Of du spot Masterpiece de Coca Cola (celui dont on parle un peu plus haut) montre l’intense travail humain pour produire le clip, malgré toutes les avancée de l’IA.
Un peu plus récent, et surtout à propos d’une AI qui fait un peu trembler la profession : Sora. Pas encore grand public, mais déjà testée par des studios. L’équipe du Studio Shy Kids nous parle de la réalisation de son spot « Air Head » avec Sora. Et bien on est loin du « prompt to video » : il y a un gros travail humain, et ici l’IA reste un outil au service des artistes. Un outil incroyable, certes, mais un outil.
Même le clip de BigFlo & Oli via Stable diffusion – et même si les artistes ont écrit en intro qu’il n’y avait pas eu d’intervention humaine – a nécessité un énorme travail de direction artistique pour son réalisateur Neb Sh.
Tout ça pour dire quoi ? Quel impact sur l’emploi dans la pub?
Sans jouer les Madame Irma, je dirai que pour les petites équipes, les teams créatifs, les agences à taille humaine comme Nomads : l’AI va nous permettre de décupler les compétences internes. En clair, nous allons pouvoir faire plus à taille d’équipe égale. L’AI va permettre de mieux intégrer toutes les technologies, de rendre ponts entre le print, la vidéo et le web beaucoup plus fluides et rapides. Et tout ça sans devoir démultiplier les équipes. Donc clairement une opportunité à saisir pour les structures créatives de notre format. Et pour nos équipes, qui vont voir leurs projets enrichis, et qui vont se doter d’outils dont ils/elles ne pourront plus se passer très rapidement.
Alors, l’Intelligence Artificielle Générative : #Good pour la pub ?
« Je suis créatif dans la pub, alors bien sûr que… (NDR qu’est ce qu’elle m’énerve cette trend) … j’utilise l’IA »
Allons droit au but : oui, on utilise depuis plusieurs mois de nombreux outils dans les process créatifs d’agences. Et non, on ne dénature pas notre approche métier ce faisant.
Concrètement, l’AI dans notre workflow aujourd’hui, c’est assez concret :
- De la génération d’images pour mettre des visuels sur des concepts (jamais à ce jour pour la réalisation de visuels def).
- Des outils d’optimisation du travail d’imagerie numérique et de retouche ;
- Des outil pour le storyboarding ;
- Des plugins pour le motion design ;
- De la génération de code web pour accélérer la production.
- Finalement très peu d’usage de la génération de textes façon ChatGPT, on n’en est pas satisfaits dans 95% des cas. Bon ok, éventuellement pour amorcer un brainstorming.
Techniquement, beaucoup de limites que les créatifs reprochaient à l’AI il y a 3 mois ont été gommées (dernier exemple parlant, la possibilité de travailler avec des personnages récurrents dans la génération d’images, de corriger des zones dans l’image, …). Ca va vite et il faut passer un temps de veille important. (Cet article devrait être d’ailleurs obsolète dans 3, 2, 1… maintenant !)
Et on avoue qu’il y a des avancées que l’on attend avec envie, notamment sur la partie prod. vidéo.
Et il faut aussi avoir l’esprit critique : aujourd’hui, beaucoup de solutions font le buzz, et c’est assez tentant de les tester. Mais sont-elles utiles dans notre métier ? Ce n’est pas toujours évident, par exemple les générateurs d’avatar, de voice cloning comme HeyGen, c’est super tentant de faire un truc avec. Mais toutes les agences n’ont pas forcément un sujet qui correspond à cet outil.
On s’attend à quoi dans les prochains mois ?
On va sans doute être très surpris par ce qui va sortir 🙂 mais en tout cas on a quelques idées sur les enjeux pour notre métier :
- Aller vers plus d’authenticité. Des rendus plus naturels. Des représentation humaines qui ne font plus peur (bah oui, franchement la tendance à représenter les femmes par toujours le même style de figure au visage creusé et angulaire, lèvres pulpeuses, cheveux longs-ondulés, corps filiforme, moi ça me fait peur)
- Atténuer le côté loterie des générations d’images et surtout de vidéos ; l’enjeu créatif c’est d’avoir justement un peu plus la main sur le travail.
- Une foire d’empoigne des propositions commerciales d’AI, toutes plus folles les unes que les autres (jetez un œil sur ce site et dites-moi comment vous allez choisir https://theresanaiforthat.com/), avec des mises à jours tous les 4 matins, des rachats, des disparitions.
- Le développement de solutions privées, dans un environnement clos à l’agence, pour répondre à la problématique de la propriété intellectuelle.
- Et donc en agence, beaucoup de temps investi à tester, essayer, rejeter, perdre du temps, en gagner, pour se construire un workfow créatif cohérent avec notre image.
- Un nécessaire arbitrage budgétaire : l’AI ce n’est pas gratuit (c’est peut être justement ce qui va sauver le concept). Chaque solution intégrée au workflow est une ligne budgétaire à rentabiliser. Cette rentabilité passera parfois par du temps gagné, parfois par de nouvelles compétences vendues. Mais une chose est sure, la phase où l’on « joue » avec les solutions va assez vite se rationnaliser.